À TRAVERS JANN

un Film de Claire Juge
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Claire Juge, France, 2019, 25'
  • Corpi Celesti ✶ Le corps dans tous ses états
  • IF On Air

Claire Juge est une réalisatrice française de films documentaires. En 2014, lors de ses études à l’Université d’Aix-Marseille, elle tourne son premier court-métrage documentaire intitulé Parades. Elle travaille par la suite en freelance à Stuttgart (Allemagne). En 2020, elle réalise À travers Jann.

Ce film suit la vie de Jann Gallois, une danseuse et chorégraphe âgée de 29 ans. Son corps est au cœur de tout. Les animations de Justine Vuylsteker, associées au documentaire de Claire Juge, le mettent en relief : enveloppe de l’âme, outil de travail, moyen d’expression… Il est endurant, résistant mais il souffre et nécessite des soins. Un jour, Jann en perd le contrôle et doit réapprendre à le maîtriser. Son corps céleste et son corps terrestre seront-ils finalement réunis par la danse ?

Prod. ✶Novanima

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Interview de Claire Juge :

- Pourquoi avoir filmé le témoignage d'une danseuse ? Comment s’est déroulé votre travail avec Jann Gallois ?

Chaque film que j’ai réalisé jusqu’à présent m’a permis d’affiner et de mieux comprendre ce qui m’émeut dans le monde qui m’entoure. Et je constate à chaque fois que ce sont les corps et les manières dont on vit avec qui me touchent. La manière dont chaque personne exprime consciemment ou inconsciemment des choses de soi. La manière dont un geste, une démarche peut raconter quelqu’un. Bref, j’ai envie d’explorer notre rapport au corps dans tous ces aspects et de montrer à quel point cela peut être beau. Je suis donc allée assez naturellement vers la danse et les danseurs.ses après mes études. Fascinée par l’extrême maîtrise de leurs corps. Des questions dans la tête et des fourmis dans les jambes. Et je suis tombée sur Jann. Jann et son corps élastique. Jann et ses gestes précis. Jann et son envie d’explorer encore plus avec moi ce corps qu’elle semblait si bien connaître. J’ai donc commencé à la filmer dans son travail de création, de répétition, à lui poser des questions sur son corps quotidien. Sans trop savoir où j’allais mais avec l’intuition qu’il y avait des choses à raconter. Pendant trois ans, je l’ai observé, avec ou sans ma caméra, nous avons beaucoup échangé, des failles sont apparues dans l’apparente parfaite maîtrise de ce corps et j’ai écrit un dossier qui allait finalement conserver une petite partie des ces trois ans, ma sélection personnelle disons. Deux ans ensuite ont été nécessaires, accompagnée par la société de production Novanima, pour rassembler le budget indispensable au tournage et à la fabrication de l’animation.

- Les sensations, les doutes et les questionnements semblent traverser Jann. Pourriez-vous nous expliquer le choix du titre du film ?

Jann m’avait dit lors d’un de nos entretiens filmés qu’elle avait compris qu’elle serait toujours « traversée » par les gens, les choses, les sensations et que c’est cette action d’être traversée qui la mettait en mouvement et créait sa danse. L’idée du titre est partie de là et j’y ajoute quant à moi l’idée que le spectateur est invité à voir à l’intérieur de Jann, au-delà de son apparence physique, mais aussi à se voir soi-même à travers Jann. Pour moi ce titre, c’est un miroir à moitié opaque. À travers le corps et le récit de Jann, j’espère inviter chaque spectateur à se poser les mêmes questions et à réveiller son corps.

- Quelle(s) représentation(s) du corps avez-vous voulu transmettre ? Un corps fort, un corps faible ?

Rien d’aussi binaire. Jann est un corps extrêmement fort au premier abord qui se révèle fragile et limité à certains moments. Je veux juste essayer d’exprimer l’idée que notre corps fait partie de nous, qu’il nous constitue en tant qu’individu.e autant voire parfois plus que notre cerveau. Notre corps, c’est nous.

- Pour ce film, vous avez travaillé avec Justine Vuylsteker. Comment s’est mise en place votre collaboration ?

Justine est arrivée assez tôt dans le processus. L’écriture du dossier n’était pas du tout finalisée. J’ai ressenti tôt la nécessité d’intégrer de l’animation au film car les histoires que Jann me racontait n’étaient au premier abord pas visuelles. Je ne suis pas du tout animatrice, c’était très compliqué pour moi d’imaginer une forme précise d’animation. Justine était sensible au projet et aux histoires de Jann. Elle a donc pris en charge toute la direction artistique de l’animation et nous avons imaginé ensemble lors d’une semaine de résidence les dispositifs d’animation qui devaient porter les histoires de Jann.

- Jann évoque la « famille (…) céleste et (la) nouvelle famille terrestre » du bébé entre 0 et 6 mois. Selon vous, à quel univers son corps pourrait-il appartenir ?

Je suis moi-même assez peu spirituelle mais peut-être que Jann dirait qu’il est dans un entre-deux, dans un endroit de transition, de passage. Je préfère laisser libre cours à l’imagination de chacun. Pour ma part, j’y ai vu un vol d’étourneaux tournoyant entre le ciel et sa silhouette blanche.